Un Accord de lutte contre la contrefaçon et le piratage (ACTA) pourrait être mis sous toit d’ici à la fin 2010. La Suisse y est très active. Une analyse d’Alliance Sud, parue dans “Le Temps”, montre comment il menace la production et le transit de médicaments génériques pour les pays en développement.
Un Accord de lutte contre la contrefaçon et le piratage (ACTA) pourrait être mis sous toit d’ici à la fin 2010. La Suisse y est très active. Une analyse d’Alliance Sud, parue dans “Le Temps”, montre comment il menace la production et le transit de médicaments génériques pour les pays en développement.
Des copies presque parfaites de Rolex fabriquées à Hong Kong; de vrais faux sacs Vuitton produits en Thaïlande; des clones de maillots de bain dernier cri vendus en toute impunité sur les plages brésiliennes. Si l’Helvète de retour des tropiques risque de se faire confisquer ces produits contrefaits à la douane, leur utilisation à des fins privées n’est pas punissable en Suisse. En revanche, gare à celui qui voudrait revendre son précieux butin: il est passible de cinq ans de prison et d’une amende allant théoriquement jusqu’à un million de francs.
L’Institut fédéral de la propriété intellectuelle estime que la contrefaçon et le piratage font perdre deux milliards par an à l’économie suisse et plusieurs centaines de milliards à l’économie mondiale. Pour lutter contre ce fléau, la Suisse, l’Union européenne, les Etats-Unis et huit autres pays, dont seuls deux en développement – le Mexique et le Maroc – ont négocié depuis 2008 un Accord de lutte contre la contrefaçon et le piratage, plus connu sous son acronyme anglais d’ACTA. Son but affiché est de renforcer la coopération internationale en la matière.
Risques pour les génériques
Les négociations ont d’abord été menées dans le plus grand secret. Mais suite à une pluie de critiques et à des fuites dans la presse, certains Etats – dont la Suisse – se sont décidés à publier les différentes versions du texte et à tenir des réunions de consultation avec la société civile et le secteur privé. Le dernier round de négociations a eu lieu au Japon début octobre et l’accord pourrait être mis sous toit d’ici à la fin de l’année.
Le problème est qu’il existe des faux produits beaucoup plus sensibles que les montres et les sacs à main: les médicaments. Selon l’IFPMA, l’association faîtière de l’industrie pharmaceutique, sise à Genève, 1% des médicaments vendus dans les pays industrialisés sont faux et 10% à 30% dans les pays en développement – une proportion qui grimpe à 50% s’ils sont achetés sur Internet.
Or, il faut craindre que l’ACTA ne cherche à lutter contre ce problème en restreignant les droits de propriété intellectuelle et en limitant la disponibilité des copies légales de médicaments, ou génériques. Les pays en développement et les ONG soupçonnent ce traité d’aller au-delà de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) de l’OMC. Un traité dans lequel les pays en développement ont obtenu, de haute lutte, des flexibilités leur permettant de contourner les brevets et de produire des génériques en cas de pandémie («licences obligatoires») ou de les importer lorsqu’ils ne les produisent pas eux-mêmes («importations parallèles»).
Les négociateurs se défendent, évidemment, de telles intentions. La Suisse affirme que l’ACTA ne cherche pas à créer de nouveaux droits de propriété intellectuelle, mais qu’il vise la mise en œuvre et une meilleure application des droits existants. Qu’il ne cherche pas à augmenter la durée de protection des brevets (20 ans) ou d’autres standards substantiels, mais avant tout à renforcer la collaboration entre Etats, les mesures à la frontière et les procédures internes, les dédommagements et les sanctions pénales.
Obstacle au transit de médicaments
Reste à savoir comment le texte sera traduit dans les faits. Et là, il y a de quoi être méfiant. L’Inde, surnommée « la pharmacie du Sud » en raison de sa très importante production de génériques, est particulièrement inquiète. Elle craint, non sans raison, que cet accord empêche le transit de génériques, comme cela s’est produit en 2008 et 2009, lorsque des copies de médicaments en provenance d’Inde et destinés au Brésil ont été saisis par les douanes néerlandaises avec l’accusation d’être contrefaits. A ce propos, l’Inde et le Brésil ont porté plainte devant l’organe de règlement des différends de l’OMC – la consultation est en cours – et ils craignent que ces saisies puissent être étendues aux autres pays parties de l’ACTA.
Si la dernière version du texte a pu soulager certaines appréhensions, elle est loin d’avoir résolu tous les problèmes – notamment parce qu’elle adopte une définition très large de la propriété intellectuelle. Les Etats-Unis, le Canada, la Nouvelle Zélande et le Mexique voulaient en limiter la portée aux droits d’auteur et aux marques. Mais suite aux demandes insistantes de l’Union européenne, de la Suisse et du Japon, l’ACTA va bel et bien couvrir tous les aspects de la propriété intellectuelle, y compris les brevets et les indications géographiques.
Dès lors, même si les brevets ont effectivement été exclus des mesures aux frontières, leur violation reste passible d’une action en justice. L’Inde et les autres pays en développement regrettent aussi que la question du transit soit toujours mentionnée dans le texte, ce qui représente encore et toujours une menace pour les génériques. L’année dernière, pour ne donner qu’un exemple, les douanes allemandes ont saisi une cargaison de amoxicillin, un antibiotique générique en route pour Vanuatu, soupçonné de violer la loi sur les marques.
Le diable dans les détails
En entretenant une confusion entre contrefaçon – qui est une violation de la loi sur les marques – et propriété intellectuelle, l’ACTA n’ouvre-t-il pas la porte à une redéfinition de cette dernière qui poserait problème aux pays en développement? Car le diable est dans les détails et si la définition de la contrefaçon est trop large, le danger de mélanger faux médicaments et génériques est bien réel.De plus, l’ACTA n’apporte rien en termes de santé publique. Car ce ne sont pas tant les faux médicaments qui posent problème que ceux de mauvaise qualité. Il serait dès lors plus efficace de lutter contre les mauvais médicaments par d’autres mesures que la propriété intellectuelle, par exemple en renforçant les autorités nationales de surveillance.
En novembre, une session d’information sur l’ACTA est prévue à la Commission de politique extérieure du Conseil national. Les parlementaires suisses devraient s’assurer que la lutte – légitime – contre la contrefaçon et le piratage ne menace pas la production et le transit de génériques et donc le droit à la santé dans les pays en développement.